Allocution de Me Maxime Laporte, président général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Prononcée le 12 février 2017 aux funérailles de Pierre Demers
Chers amis,
Cher Patrick,
Cher Thierry,
Chers petits-enfants et proches de Pierre Demers,
À vous, au nom de la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de Montréal, je vous offre mes
plus sincères condoléances.
Aujourd’hui, la SSJB perd son doyen.
La SSJB perd l’un de ses membres les plus illustres et les plus inspirants.
Aujourd’hui, nous disons aurevoir à un patriote hors du commun, un scientifique de génie
et un ardent défenseur de la langue française.
Récipiendaire en 2015 de notre Grand Prix des sciences Léon-Lortie, fondateur de la
LISULF, le très vigoureux Pierre Demers, qu’on croyait éternel, s’est donc éteint à l’âge
vénérable de 102 ans, cela quelques mois à peine après le départ inattendu de son fils
Joël, mon ami.
Le professeur Demers appartenait à une classe à part. Une espèce en voie de disparition.
Celle des vivants, des passionnés, des immortels. Des dignes autant que de ceux qui
savent s’indigner. Il comptait parmi ces hommes exceptionnels qui ont appris à se tenir
debout, jusqu’au bout, ceux qui ont véritablement le sens de la patrie ; imperturbables,
non-négociables, incorruptibles dans leur quête de savoir et leur désir incandescent de
liberté et de justice.
Bref, Pierre Demers était de ceux qui dérangent. Il était de ceux qui agissent à contrecourant,
puisque profondément attachés à ses idéaux, à sa soif d’extraordinaire, celle qui
nous aspire vers la perfection et vers la vérité dans un monde autrement plutôt médiocre ;
un monde où, le plus souvent, on simule le bonheur et la liberté, et où l’on dissimule par
le fait même les véritables agents de salut.
On a tant de leçons à apprendre du professeur Demers, et trop longtemps nous avons été
de mauvais élèves. Le temps était donc venu ces dernières années de relever notre cote Z
en honorant Pierre Demers de tous les prix qui lui revenaient naturellement, de tous les
hommages, et même d’un documentaire mémorable réalisé par Joël. Plus de simulation,
plus de dissimulation ; les cent ans bien sonnés, il fallait dire les vraies affaires à un
maximum de gens, et pour la postérité.
J’aimerais souligner le travail extraordinaire réalisé par Pierre Demers et la LISULF afin
de promouvoir depuis 30 ans auprès des décideurs, des universitaires et de la population
en général, l'usage du français dans l’enseignement, la communication, la recherche et les
publications scientifiques. Nos élites, tant au niveau national qu’international, doivent
faire preuve de responsabilité et agir dans ce dossier crucial, où l’on a le plus souvent
multiplié les voeux pieux et les belles paroles, mais sans que les bottines ne suivent les
babines.
Le combat de Pierre Demers doit à tout prix être poursuivi, car la dégringolade de la
langue de Pasteur est plus abrupte que jamais. Comme le rapportait récemment Vincent
Larivière, expert de la question des transformations dans la communication savante, la
proportion des publications internationales en français réalisées par des chercheurs
québécois oeuvrant dans le domaine des sciences naturelles et médicales, est de
seulement 0,5%, pour ne prendre que cet exemple!
Or, on ne pense pas le monde de la même façon selon la langue qu’on habite. Pour suivre
l’exemple de Pierre Demers et être à la hauteur de son héritage, il faudra dans les
prochaines années, opposer systématiquement à la domination tous azimuts de la langue
anglaise et de la pensée anglaise, la résistance et la diversité de l’ensemble des
civilisations qui parlent et pensent autrement! Comme pour les instruments de l’orchestre,
toutes les langues du monde doivent faire entendre leur voix dans le concert des peuples.
Sinon, les tambours battants de l’impérialisme culturel anglo-saxon, enterreront
fatalement tout le reste, appauvrissant pour la suite du monde, le patrimoine de
l’humanité. Et au diable la musique, et au diable l’universalité! Pour emprunter le
langage des progressistes dont je suis, ce n’est pas ça, faire du développement durable. Et
ce n’est pas équitable non plus.
Alors, à nous de travailler à redonner toutes ses lettres de noblesse à la langue française,
dans le monde des sciences comme dans tous les domaines ! Pour cela, inspirons-nous de
Pierre Demers, et tenons-nous debout, droits, grands et fiers !
Enfin, comme l’a déjà fait Pierre Demers en pleines cérémonies officielles et solennelles,
- on s’en souviendra, je vous quitterai en m’écriant : « Vive le Québec libre ! ».